It is a worldwide phenomenon. A few hours before the stands of football stadiums resound with the chants of the ultras of the ball, the independents are already roaming the city, grouped in "firings" to fight the opponent at first blood. In encounters lasting only a few minutes, troops of 30 to 200 charge towards each other in an open-air display of urban violence. The independents are ultra-fanatical about football, proud of their team, their city, whose emblem serves as a banner as much as a substitute identity. The rare press articles devoted to them reduce the phenomenon to acts of violence perpetrated by degenerate supporters, drunk on alcohol and drugs. Yet a dive into the world of 'real football' reveals a variety of far more subversive profiles: young, old, working and middle class, right-wing and left-wing extremists, some girls and even tax-paying fathers. They are irresistibly attracted by the tension of Saturday meetings where anything can happen, even the worst, and they want more.
C’est un phénomène mondial. Quelques heures avant que les tribunes des stades de foot ne résonnent du chant des ultras du ballon, les indépendants sillonnent déjà la ville, regroupés en « firmes » pour en découdre avec l’adversaire au premier sang. Lors de rencontres de quelques minutes à peine, des troupes de 30 à 200 chargent l’une vers l’autre dans un déchaînement de violence urbaine à ciel ouvert. Les indépendants sont des ultra-fanatiques du football, fiers de leur équipe, de leur ville, dont l’emblème sert d’étendard autant que d’identité de substitution. Les rares articles de presse qui leur sont consacrés réduisent le phénomène à des faits de violences perpétrés par des supporters dégénérés, ivres d’alcools et de drogues. Pourtant une plongée dans ce monde du « real football » esquisse une variété de profils bien plus subversifs : des jeunes, des vieux, des « working poor» et classes moyennes, extrémistes de droite, de gauche, quelques filles et même des pères de famille payant leurs impôts. Irrésistiblement attirés par cette tension des rendez-vous du samedi où tout peut arriver, même le pire, et ils en redemandent.
🇫🇷 FRANCE ⎜SOCIETY
FIGHT-CLUBS
REPORTAGE POOL ⎮ FRANCIS DEMANGE ⎮ SÉBASTIEN DI SILVESTRO
A l’origine les indépendants sont issus des mouvements de supporters ultras, mais ceux-ci ont troqués leur statut de fans officiels, leurs écharpes et casquettes aux couleurs des clubs pour les vêtements sombres et anonymes à la mode C.A.H : Casual And Hooligan. Les règles non écrites de ces fights-clubs sont au nombre de 5 : personne n’en parle hors des firmes, pas d’arme, pas de lynchage, pas dépôt de plainte, « et si vous venez, c’est pour vous battre ». Plus un club de foot est réputé, plus les indépendants et ultras violents sont nombreux à graviter autour en satellites plus ou moins structurés. Le hit parade des « fighters » est indexé sur le classement des clubs. Alors on retrouve en têtes d’affiches le PSG et l’Olympique Lyonnais mais également Saint-Etienne, Nice, Lille où les surprises de la Coupe de la Ligue telles que Nancy dont les indépendants doivent «assurer» au prorata de l’ascension de leur équipe. Défendre leur nouvelle réputation à coups de poings. Marseille fait figure d’exception en suivant le « modèle » des tifosi italiens où le nombre de fighters est inquantifiable tellement il est populaire. Une majorité de supporters peut à l’occasion servir «une bonne salade de phalanges » à l'adversaire. Mais généralement, les indépendants sont regroupés en « firmes » attachées à une ville, à un club, à quelques bars faisant office de quartier général. Via des sites internet sécurisés, avec code d’accès réservés aux leaders ou membres éminents, «des mecs de D1», ils échangent des informations sur les scènes internationales et nationales. Et s’insultent suffisamment pour maintenir la motivation de leurs rivalités ou postent des images, des vidéos sur fond de musique musclée montrant leurs dernières rencontres : deux groupes fonçant l’un sur l’autre dans un impact fracassant sous le regard médusé des passants. Ils prennent rendez-vous, conviennent des stratégies pour éviter de se faire repérer par la police. C’est un jeu à trois qui débute par une filature des bus de supporters ultras. Les forces de l’ordre tentent d’identifier les groupes à problèmes. Alors ces derniers se divisent pour être moins visibles et faire jonction au point de rendez-vous, guidés par GPS ou SMS, avec parfois même un plan « Mappy » et une heure. Certains se postent aux coins des rues et communiquent la position des forces de police aux autres par téléphone portable. Très souvent, les groupes les moins structurés se font appréhender avant l’heure du rendez-vous. Dans une ville inconnue, à l’extérieur, les indépendants évitent de se retrouver en trop grande infériorité numérique. Cependant des groupes de 20 habillés en couleurs sombres, chauffés à la bière et désensibilisés à la drogue pour moitié, tandis que l’autre est composée de sportifs s’adonnant à toutes les techniques de combats, se repère très vite. Ceux qui se font prendre seront escortés sous bonne garde jusqu’à l’entrée du stade. Mais les vieux de la vieille ne se font que rarement appréhender. Les forces de police arrivent en général opportunément pour sonner le gong de fin de rencontre, en arbitres involontaires. Dans les années 90 certains ex-indépendants se seraient reconvertis dans la polices et même quelques uns dans le renseignement. Les firmes pouvaient compter sur des infos de première main.
" POUR SE SENTIR VIVANT".
« Je commence à prendre du recule avec le milieu, aujourd’hui j’ai atteint la trentaine. Je n’ai pas que le foot dans ma vie. Mais pendant 10 ans il n’y avait que ça. Forcément il ne faut pas être tout à fait bien dans sa tête, mais pour moi, aucune femme ne m’a jamais donné les sensations d’un but », explique Jack d’une voix posée et réfléchie, cherchant lui-même à comprendre pourquoi il a passé tant d’années avec pour obsession de mettre ou de prendre une bonne raclée. « La première fois que je suis entré dans un stade, ce n’est pas le match qui m’a fasciné, mais les mouvements de la foule, j’étais hypnotisé », confie Jack, un des anciens leaders d’une firme de l’Est de la France qui commence doucement à se retirer. « Pourquoi ? Parce que pendant une fight on se vivant, tout peut arriver, alors les sens sont en alerte. Avant une rencontre j’ai la boule au ventre et des fois une semaine après, j’en suis encore à la purée et au jambon, les seuls aliments que je peux mâcher », raconte-t-il pour la première fois. Pour comprendre qui sont les indépendants, il donne un rendez-vous à une quinzaine de « collègues » une veille de match sur un parking vide derrière le stade. Ils arrivent en retard, après un jeu de cache-cache avec les voitures de la BAC longent déjà les artères alentours. Ils sont là, issus de trois firmes de l’Est, les Thugs, les Brizacks, la NCF. Une ambiance potache couvée par leur mascotte féminine de 26 ans qui a intégré le mouvement depuis10 ans. Le jour, elle travaille dans le marketing, à 80% du SMIC, tandis que les soirs de matchs, elle filme en tremblant pour ses potes, ces scènes de guérilla urbaine. Pas vraiment de sales gueules. Plutôt des petits durs à cuir. Chacun a intégré une firme pour une raison différente. Tous pourraient raconter à l’origine de leur histoire, un évènement fondateur ou répété, quelque chose qui a mal tourné. On les imagine sans peine trimer sans reconnaissance, avec des parcours scolaires difficiles, ou effectuant des jobs sous pression de la loi des petits chefs. « C’est nous les méchants », lance l’un d’eux sur le ton de la bravade. Puis ils essayent de convaincre, d’expliquer qu’ils s’inscrivent dans la tradition des bastons des bals populaires, que le besoin de violence, d’un étendard à défendre plutôt que soi-même a toujours existé. Le discours est construit de bric et de broc, mais dans l’ensemble, terriblement cohérent. Ce qu’ils racontent, c’est l’histoire d’un manque. Pour eux, la société moderne a définitivement bouclé la boucle de la violence qui constitue un strict monopole d’Etat. Les confrontations humaines, « mano a mano », sont prohibées de loin en loin. A un différent qui pouvait autrefois se terminer par une bagarre, se substitue aujourd’hui la judiciarisation du système. Le procédurier, justement protégé par la loi, l’emporte sur la loi sauvage du plus fort. En visant efficacement à la sécurité, paradoxalement, la Justice dépouille ces individus se sentant vivre sous le joug de la mécanique du système d’un vestige identitaire : la possibilité de s’imposer, de gagner, d’apposer une marque par force en dehors du monde du travail perçu comme un jeu pipé et par extension toute forme de victoire s’inscrivant dans un cadre social tolérable. Si les combats sur les rings et les remises de médailles sont des formes de violences admises auxquelles de nombreux fighters s’adonnent régulièrement, elles ne suffisent pas à remplir leur soif de confrontation. Le combat de rue constitue pour eux une alternative, justement parce qu’il est socialement inacceptable. Parce que chaque fight est un déchaînement de violence, une fissure à ciel ouvert dans le système, procurant l’adrénaline d’un vécu tangible, uniquement déterminé par la volonté de se battre. A la fin d’une fight, celui qui a tenu bon en première ligne est un homme D1, respecté par tous, celui qui est resté en arrière est « un vendeur de gaufres ou de pop’corn ».
S’ils s’inspirent dans la forme du mouvement hooligan, ils se limitent à des bagarres entre adultes consentants. Même si les dérapages sont nombreux, surtout dans le sud où les armes ne sont pas rares. En 2007, alors que deux matchs devaient avoir lieu en parallèle, Metz-Lyon d’un côté, et Auxerre-Nice de l’autre, les bus se croisent sur une aire d’autoroute. Parmi les pires affronts que puissent se faire entre eux les ultras, se trouve la capture de la bâche, symbole de l’équipe. Les lyonnais s’emparent alors de la bâche niçoise et lancent un feu de Bengale dans le bus...Le soir même, les niçois se sont renseignés et pistent le retour de déplacement des lyonnais avec un groupe de 80 personnes armées prêtes à en découdre jusqu’au bout. Par chance, les lyonnais ont eu vent du traquenard qu’ils ont évité. Depuis les niçois ne bâchent plus au stade, ils arborent une grande banderole titrant « 15 septembre », le jour où la bâche leur a été volée. Cette fois, le pire a été évité, mais chaque rencontre risque l’accident, l’étincelle qui pourrait mettre le feu aux poudres et radicaliser cette spirale de la violence.
LE MONDE FOOT DE LA REAL FOOTBALL FACTORY
Car la France est encore un enfant sage comparée aux hordes sauvages de la scène internationale : hooligans, tifosi, ultras nationalistes des pays de l’Est, Bravas argentins... Une seule règle. Oubliez les toutes. Dans les pays de l’est, la police ne se déplace pas pour contrer ces bandes utilisant des armes à feu sans aucune limite. Chacun de ces pays est capable de mobiliser des firmes 10 fois plus nombreuses que celle du PSG. Certains néo-nazis ultras du football peuvent même parfois vivre ensemble dans des appartements-squatts, faisant du hooliganisme un mode de vie en immersion complète, avec organisation paramilitaire sur fond d’abus et de faits de violences de tous ordres. Des reportages professionnels circulant sur internet présentent sous un jour plus que favorables cette internationale de l’ultra violence: The Real Football Factory. Devant la caméra, un dandy dans la mouvance « trainspotting », se filme à la façon des documentaires de la chaîne Voyages devant les grands monuments des pays du foot sur fond de musique classique, rock ou techno, alternant au montage des scènes d’ultra-violence tournées dans le pays. A Rome, le présentateur se plante devant le Colisée avant de présenter aux spectateurs ces « nouveaux gladiateurs ». Des tifosi surchauffés détruisant tout sur leur passage... Au-delà de la forme tonitruante et ciné génique de la représentation de cette violence, ces reportages proposent un postulat intéressant en s’attachant à l’histoire du football dans chaque pays en parallèle à une rapide fresque sociale : l’une devenant la conséquence de l’autre. Le danger de ce genre de reportage réside évidemment dans l’esthétisation de cette violence qui la rend consommable, communicative, distrayante. Mais pour l’heure, et en dépit des dérapages de grandes ampleurs, fortement inscrits dans les mémoires, le monde des indépendants français reste encore à la marge de cet océan déchaîné. Pour combien de temps ? Le 30 novembre 2006, en pleine Coupe de l’UEFA, Nancy rencontre Feyenoord qui traîne dans son sillage plus de 600 hooligans interdits de stade. Les hooligans gigantesques débusquent alors les indépendants nancéiens dans leur bar et demandent combien d’hommes ils peuvent mobiliser. Devant une réponse insuffisante en nombre, leur leader répondra avec un sourire: « Alors nous jouer avec police ». La suite des évènements restera gravée comme un jour noir de la cité. Et tandis que les indépendants nancéiens rongeaient leur frein, et que les forces de l’ordre débordées faisaient de leur mieux pour contenir ce chaos furieux, ils assistaient aux échauffourées aux quatre coins de la ville, envieux de la puissance de frappe des hooligans hollandais, de par leurs violences fascinées...
Sébastien Di Silvestro
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